Le projet de loi du 28 novembre 1974, proposé par Simone Veil visait à dépénaliser l’interruption volontaire de grossesse qui, jusqu’à lors, était passible d’emprisonnement.
À l’époque, cette loi est faite pour les femmes en situation de détresse : « Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issues. Mais comment le tolérer sans qu’il perde ce caractère d’exception, sans que la société paraisse l’encourager ? » déclarait la ministre de la santé lors de son discours devant les députés.
En effet, dans un contexte où les femmes n’ont que (trop) peu accès à la contraception (la pilule était interdite en France jusqu’en 1967) qui reste plutôt mal vue de la société, les avortements clandestins mutilent [i] 300 000 femmes par an.
Depuis Janvier 2014, la notion de « situation de détresse » n’est plus nécessaire pour justifier une demande d’avortement. En 2016, la loi s’assouplit une nouvelle fois, réduisant le délai de réflexion d’une semaine. En même temps, à l’heure où les méthodes de contraception sont de plus en plus fiables, diversifiées et encouragées, la Drees estime le taux d’avortement en France à tout de même 220 000 par an.
En tant que femme, humaniste et féministe, je ne pourrais remettre en cause la loi légalisant l’avortement en France. Je pense que c’est une chance d’avoir le soutien de la République dans la prise d’une décision aussi difficile que celle-ci.
La presse moderne étant de plus en plus féministe, il est normal et même rassurant qu’elle œuvre pour la déculpabilisation des femmes ayant ou voulant avorter. Cependant, il semblerait qu’en luttant contre la pression exercée par des groupes anti IVG, la presse et les médias négligent une autre forme de pression tout aussi dévastatrice, si ce n’est plus.
Tout d’abord, certains journaux ont tendance à minimiser indirectement ou directement les conséquences psychologiques post-avortement en sélectionnant ou omettant de l’information. D’ailleurs, une émission France Culture « Droit à l’avortement : quel argent pour informer ? » datant de fin 2016 mentionne qu’alors que les députés de l’Assemblée nationale s’affairaient autour du projet de loi pour élargir le délit d’entrave à l’ivg au numérique, les plannings familiaux déploraient le manque de moyens donnés à la prévention et à l’information objective.
Dans un article du journal web Madmoizelle.com traitant des idées reçues sur la contraception et l’avortement, la journaliste, associe directement l’affirmation : «L’avortement cause des dommages psychologiques chez les femmes qui y ont eu recours» aux groupes anti-choix, et s’empresse de la discréditer en trois points qui constitueront mes trois arguments dans la lutte contre la banalisation de l’avortement et la sélection de l’information.
Tout d’abord, la journaliste déclare que beaucoup de femmes ne souffrent d’aucune conséquence psychologique suite à un avortement. Soit. Ce qu’elle oublie de mentionner, c’est qu’en France, l’avortement peut être pratiqué jusqu’à la 12e semaine de grossesse et qu’en pratique, certains avortements ont lieu au-delà de cette période. À la 3e semaine, l’embryon, qui vient à peine d’être fécondé, ne fait même pas 1,5 mm. Cependant, à la semaine 12, l’embryon est devenu fœtus et il mesure 6cm. Le cerveau en est à ses prémisses, le cœur bat et les ongles poussent (voir échographie plus bas). En omettant cette précision dans son argumentaire, la journaliste est bien loin de rendre service aux femmes en situation de grossesse involontaire. Au contraire, elle crée une sorte de distorsion entre l’imaginaire de la femme enceinte involontairement et la réalité.
Voici ce à quoi ressemble l’échographie d’un fœtus de 12 semaines :
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https://i.skyrock.net/4826/81094826/pics/3059699193_1_5_DPcoOMJv.jpg
Ensuite, la journaliste renchérit en disant que la souffrance psychologique est souvent causée par une société qui culpabilise les femmes ayant avorté. Dans cet argument fondé sur aucune donnée, elle oublie également de mentionner la pression familiale et/ou conjugale en faveur de l’avortement qui peut être exercée sur une femme enceinte. D’ailleurs, dans le contexte actuel où les femmes sont de plus en plus visibles dans la sphère professionnelle et ont de plus en plus accès à des métiers de direction, la société privilégie, au sein du cercle des femmes de pouvoir et d’ambition, des individus sans enfants et sans grossesse en cours. De plus, il ne faut pas un énorme potentiel empathique pour imaginer les conséquences physiques et morales de l’extraction de ce qui peut ressembler à un bébé (très miniature) de son propre corps. Comme Veil l’a dit « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. », nul besoin de la pression de la société pour le savoir.
Enfin, le dernier argument de la rédactrice de l’article est le suivant : « lorsqu’on ne souhaite pas avoir d’enfants, il y a de fortes chances pour que poursuivre une grossesse non désirée ait davantage de conséquences psychologiques négatives que de l’interrompre. ». Cette fois-ci, sa thèse est soutenue par des études danoises et britanniques[ii]. Cependant, l’article (disponible à la note ii) ne traite pas de grossesse involontaire poursuivie mais de grossesse involontaire. Tout court (« unwanted pragnancies » L6/7,25,26, 39,48). D’ailleurs, ce même article ne dit pas qu’il y a plus de chances de contracter des problèmes de santé mentale en continuant la grossesse qu’en avortant mais que c’est justement cette grossesse non désirée qui double les risques de rencontrer des problèmes psychologiques et que ce risque reste le même, que la femme décide d’avorter ou de poursuivre la grossesse.
Bien qu’il n’y ait apparemment pas de conséquences post-traumatiques, long-terme et persistantes selon le site du gouvernement, de nombreux témoignages manifestent le contraire. Ces récits, que j’ai pu lire ou écouter de vive voix et suivre, m’ont démontré que l’avortement n’est pas forcément la solution pour certaines femmes. Dans le cas où la femme regrette son choix pour causes de mauvaise information et d’incitations à l’avortement, la situation est irrémédiable et les conséquences psychologiques sont réelles. Sur le site du gouvernement, il n’y a qu’une seule question réponse sur les conséquences de l’avortement et je trouve cela très grave et très inquiétant. Apparemment, les femmes qui le vivent je cite « plutôt mal » sont « tristes et pleurent » et c’est tout ce qu’on saura sur ces femmes mis à part qu’on leur propose un soutien psychologique qu’elles ne sont pas obligées d’accepter.
On parle de plus en plus de l’avortement, ce qui est une bonne chose. Cependant, la libération de la parole à ce sujet n’a pas que du bon. En effet, ce même article de Madmoizelle dit « il est parfois naturel et simple de recourir à l’IVG ». Pourtant, même si les IVG sont souvent bien vécues, il n’y a rien de naturel dans cette procédure et ce serait mentir que de prétendre le contraire.
Ça n’est pas malsain et/ou culpabilisant que de proposer aux jeunes femmes une information objective, factuelle et scientifique. Au contraire, je pense que cela permettrait aux femmes de faire de meilleurs choix pour elles-mêmes et de les sensibiliser davantage à l’importance des moyens de contraception quels qu’ils soient. Le seul moyen d’accompagner efficacement les femmes en détresse c’est d’être là. Tout simplement. De leur fournir un meilleur soutien, de meilleures informations, plus complètes et proposant plus de solutions, ainsi que des outils afin qu’elles partagent leur expérience et récoltent celle des autres.
Priver les femmes d’une partie de l’information volontairement, est presque aussi grave que de fournir de fausses données. L’avortement est un choix et souvent un dilemme. Simplifier ce choix en proposant un discours lisse, simple et tranché n’est pas la solution. Les femmes en situation de détresse ont, je le répète, besoin de se sentir soutenues peu importe leur choix; d’être informées et accompagnées du début à la fin, peu importe leur ambition, classe sociale, âge ou religion.
Notes :
[i] Terme employé par Simone Veil
[ii] https://www.dailymail.co.uk/health/article-2072035/Unwanted-pregnancy-doubles-womens-risk-mental-health-problems-abortion-impact.html
Bibliographie :
https://ivg.gouv.fr/y-a-t-il-des-consequences-psychologiques-apres-une-ivg.html
http://www.elle.fr/Societe/News/IVG-vos-temoignages-2863020
https://www.france24.com/fr/20141126-france-avortement-change-pas-depuis-discours-simone-veil-ivg-politique/
https://www.franceculture.fr/societe/droit-lavortement-quel-argent-pour-informer
https://ivg.gouv.fr/avortement-quels-sont-les-delais-a-respecter-pour-avorter.html
https://naitreetgrandir.com/fr/grossesse/trimestre1/fiche.aspx?doc=grossesse-developpement-foetus-embryon#_Toc348510121
https://droit-finances.commentcamarche.com/faq/20294-avortement-nouvelle-loi-de-2016